Scientifique

Analyse

Genre

Durée de lecture : 13min

Les femmes dirigeantes dans la profession vétérinaire

publié le

03/12/2025

écrit par

Rédacteur principal

Neil Vezeau

Neil est vétérinaire et possède de l’expérience en sécurité alimentaire à l’interface entre la faune sauvage et les humains aux États-Unis d’Amérique. Ses travaux universitaires portent sur la résistance aux antimicrobiens, « Une seule santé », l’enseignement vétérinaire et l’égalité des sexes. Neil collabore également à d’autres initiatives vétérinaires en participant à l’American Veterinary Medical Association et à la National Association of Federal Veterinarians. 

Sonia Fèvre

Sonia Fèvre est une consultante stratégique qui travaille avec des partenaires pour mettre en place une collaboration et un leadership participatifs et inclusifs. S’appuyant sur des approches systémiques et une réflexion prospective, Sonia aide les équipes et les projets à travailler de manière stratégique entre les disciplines et les domaines de connaissances. Sonia est titulaire d’un master de lettres (MA) en anthropologie sociale et d’un master de science (MSc) en technologie environnementale. Dans son temps libre, Sonia explore les moyens de capter l’imagination collective autour d’un avenir ambitieux. 

Partager sur les médias sociaux

Tendances, chiffres et filières de leadership

La médecine vétérinaire est une profession qui gagne en importance à mesure que se généralisent dans le monde la possession d’animaux de compagnie, la consommation de viande et les maladies zoonotiques émergentes. Entre autres facteurs, l’évolution de la dynamique du marché des services vétérinaires contribue à façonner la démographie des effectifs. Aujourd’hui, dans de nombreuses régions du monde, la médecine vétérinaire est l’une des professions qui se féminisent le plus rapidement. Tout comme les femmes sont désormais plus nombreuses que les hommes dans la profession dans des dizaines de pays, la proportion d’étudiantes augmente également rapidement [1,2]. 

Les chiffres

Les données démographiques sur le secteur relativement restreint des soins aux animaux sont rares par rapport à de nombreuses professions de la santé humaine et, au sein du secteur, les informations démographiques sont plus faciles à trouver pour les vétérinaires que pour les autres professions liées aux soins aux animaux (par exemple le personnel infirmier vétérinaire, les techniciens en santé animale, les agents communautaires de santé animale). Cela s’explique par la relative cohésion de la profession vétérinaire et par la place prépondérante qu’elle occupe dans de nombreuses infrastructures de santé animale. Cela est particulièrement vrai dans les pays à revenu élevé, où les données démographiques sur la profession vétérinaire sont plus largement disponibles. En rassemblant des données provenant de diverses sources, on peut commencer à dresser un tableau cohérent de la présence croissante des femmes en médecine vétérinaire. Dans une grande partie de l’Amérique du Nord et de l’Europe occidentale, centrale et septentrionale, les femmes constituent la majorité de la profession depuis au moins une décennie. Actuellement, les femmes représentent la majorité des vétérinaires dans 30 pays d’Amérique, d’Europe et d’Australasie [3]. Cette proportion de femmes atteint même 93 % dans le cas de la Finlande. En outre, la proportion de femmes dans le secteur est en constante augmentation dans presque tous les pays pour lesquels ces données sont disponibles. 

Parmi les juridictions disposant de données facilement accessibles, la République démocratique du Congo semble avoir la plus faible proportion de femmes vétérinaires, soit environ 10 % [3]. Les chiffres concernant les autres pays du Sud sont rares. Les femmes sont également encore minoritaires dans certains pays à revenu élevé, notamment certains pays d’Europe de l’Est comme la Roumanie et la Hongrie, et certains pays d’Asie de l’Est, comme le Japon et la République de Corée [4]. 

Les données démographiques globales concernant les paraprofessionnels vétérinaires, notamment le personnel infirmier vétérinaire, les techniciens en santé animale et, parfois, les agents communautaires de santé animale, sont moins claires. Cependant, les paraprofessionnels vétérinaires sont beaucoup plus nombreux que les vétérinaires, et il convient donc d’approfondir la question. 

Dans les régions les plus féminisées, certains établissements d’enseignement vétérinaire ont des pratiques d’admission destinées à intégrer davantage d’hommes dans la profession. Par exemple, la médecine vétérinaire est le domaine d’études le plus déséquilibré entre les sexes en Norvège [5], où des batailles juridiques ont éclaté à propos des politiques d’admission qui avantagent les hommes en ajoutant des « points » à leurs candidatures [6] ; les admissions dans les écoles vétérinaires sont devenues le principal exemple en Norvège des efforts plus larges visant à redresser le niveau académique et à réduire les écarts entre les hommes et les femmes dans les cours de sciences au niveau post-secondaire [7]. De même, aux États-Unis d’Amérique, les hommes semblent être plus nombreux à être acceptés dans les établissements d’enseignement vétérinaire [8]. Cette situation contraste avec des pays comme l’Allemagne et la Finlande, où les femmes ont des taux d’admission plus élevés dans les établissements d’enseignement vétérinaire malgré leur forte majorité [9,10]. À l’inverse, l’entrée des femmes dans la profession est beaucoup plus récente dans certains pays, comme l’Arabie saoudite, où les femmes n’ont commencé à être acceptées dans les établissements d’enseignement vétérinaire qu’en 2018 [11]. Parmi les pays dotés d’un établissement d’enseignement vétérinaire, l’Afghanistan est peut-être aujourd’hui le seul pays où les femmes sont exclues de ces filières de formation [12]. 

L’examen spécifique des populations étudiantes nous permet d’identifier les tendances probables de la démographie future de la profession. Dans les pays européens où les viviers de stagiaires vétérinaires sont les plus féminisés, la croissance proportionnelle de ces viviers se stabilise généralement autour de 85-95 %. Ce modèle de croissance sigmoïdale peut être observé dans les graphiques 1 et 2 et démontre une limite plausible pour la croissance proportionnelle des femmes dans la profession. Toutefois, ces schémas d’évolution démographique varient considérablement d’un pays à l’autre. 

Un plus grand nombre d’associations et d’autorités de santé animale s’intéressent désormais à la démographie sous l’angle du genre. Notre connaissance de la démographie par sexe peut également être élargie grâce à des informations provenant de données de recensement archivées et de registres de vétérinaires. 

Figure 1. Pourcentage moyen de femmes parmi les vétérinaires professionnels par région de l’OMSA [3] *Les données concernent trois pays ou moins.

Note : Les moyennes régionales n’ont pas été pondérées en fonction du nombre de vétérinaires dans chaque pays. Ce diagramme à barres a été créé à partir d’un ensemble de données GitHub, dont les sources ont été ventilées par sexe et par genre. 

Figure 2. Pourcentage moyen de femmes parmi les étudiants vétérinaires par région de l’OMSA [3]*Les données concernent trois pays ou moins.

Note : Les moyennes régionales n’ont pas été pondérées en fonction du nombre de vétérinaires dans chaque pays. Ce diagramme à barres a été créé à partir d’un ensemble de données GitHub, dont les sources ont été ventilées par sexe et par genre.

Filière de leadership 

Compte tenu de l’absence de parité hommes-femmes dans les fonctions de direction au sein du secteur vétérinaire, il a été instructif de s’entretenir avec des femmes vétérinaires chevronnées au sujet de leur parcours professionnel et des facteurs de réussite. L’analyse des données qualitatives par thème a été entreprise à partir de 14 transcriptions d’entretiens** menés par le Groupe de travail sur le genre de l’OMSA en 2023 avec des femmes vétérinaires chevronnées, dont neuf étaient Déléguées auprès de l’OMSA. 

L’un des postes les plus élevés pour les vétérinaires du secteur public est celui de directeur des Services vétérinaires, qui correspond généralement à celui de Délégué auprès de l’OMSA. En 2023, sur 182 Membres de l’OMSA, 38 Délégués étaient des femmes (21 %). 

La plupart des personnes interrogées ont décrit leur style de direction et leur influence comme étant plus ouverts et plus inclusifs que ceux de leurs prédécesseurs. Elles se sont décrites comme des « leaders au service des autres », « ouvertes d’esprit », « faisant preuve d’esprit de collaboration » et même comme des réformatrices de la « culture interne ». Parmi les problématiques soulignées on trouve le passage du statut d’experte technique à celui de dirigeante, les conflits personnels entre les responsabilités professionnelles et familiales, et le sentiment associé au « syndrome de l’imposteur ». Les mentors et les collègues seniors, hommes et femmes, ont presque toujours joué un rôle déterminant en encourageant ces dirigeantes émergentes à postuler à des postes à responsabilité. 

Les personnes interrogées ont fait part de plusieurs suggestions quant à la manière dont des organisations telles que l’OMSA pourraient contribuer à soutenir des pistes de leadership plus diversifiées et intégrant la dimension de genre dans les Services vétérinaires. Parmi celles-ci, citons une attitude proactive, une démarche de sensibilisation en matière d’intégration de l’égalité entre les femmes et les hommes et une démarche prospective pour mieux comprendre les implications de la féminisation de la profession ; il s’agirait notamment de savoir si le personnel souhaite définir de nouvelles normes en ce qui concerne l’aspect du travail dans un environnement professionnel féminisé (par exemple, les horaires de travail, les avantages sociaux, les styles de gestion, etc.). Toutes les personnes interrogées ont recommandé que l’OMSA favorise les opportunités de mentorat [13], de communauté de pratique et/ou de formation à la gestion et au leadership pour les femmes au sein des Services vétérinaires. Elles ont non seulement souligné que les lieux où les femmes pouvaient se soutenir mutuellement et apprendre étaient précieux, mais aussi que la collaboration et le soutien des hommes vis-à-vis du leadership des femmes étaient également essentiels ; elles ont insisté sur le fait que les collègues masculins pouvaient défendre, et défendaient effectivement, l’intégration de l’égalité entre les femmes et les hommes en aidant leurs homologues féminines ayant un potentiel de leadership à acquérir de l’expérience, à accéder à la formation et à poser leur candidature à des postes plus élevés dans la hiérarchie. 

Il est important que les pays comprennent les tendances démographiques quantitatives de la profession vétérinaire au niveau national et aient recours à la prospective [14] pour étudier les implications de celles-ci. Partant de ce constat, des politiques et des systèmes peuvent être élaborés pour aider les effectifs à fournir toute la gamme des services vétérinaires de manière efficace. 

Ces politiques peuvent également garantir que les organisations et les Services vétérinaires favorisent des parcours professionnels plus inclusifs en agissant sur l’allocation des ressources, les priorités en matière de ressources humaines et le développement professionnel continu autour de la formation au leadership, du mentorat et des communautés de pratique pour les femmes. 

**Certains entretiens sont disponibles en ligne sur les sites web des Représentations régionales de l’OMSA. D’autres n’ont pas été publiés car certaines personnes interrogées ont souhaité rester anonymes. Les transcriptions comprennent des personnes interrogées en Asie, en Afrique, aux Amériques et en Europe. 

Traduit de l’original en anglais. 

Références

[1] Thierry AF, Fèvre S. Plus de femmes dans le secteur vétérinaire : l’inclusion au niveau mondial est-elle vraiment au rendez-vous ? Formation et insertion professionnelle des femmes professionnelles vétérinaires au Sénégal et au Togo. Paris (France) : Organisation mondiale de la santé animale ; 2025. Disponible en ligne : https://theanimalecho.woah.org/fr/plus-de-femmes-dans-le-secteur-veterinaire-linclusion-au-niveau-mondial-est-elle-vraiment-au-rendez-vous/ (consulté le 17 février 2025). 

[2] Buchy M. L’importance d’une stratégie relative au genre pour l’OMSA. Paris (France) : Organisation mondiale de la santé animale ; 2025. Disponible en ligne : https://theanimalecho.woah.org/fr/genre/ (sous presse). 

[3] Vezeau N. Global-Vet-Med-Gender (GNU general public license). San Francisco (États-Unis d’Amérique) : référentiel GitHub ; 2025. Disponible en ligne : https://github.com/nvezeau/Global-Vet-Med-Gender/tree/main (consulté le 31 janvier 2025). 

[4] Organisation internationale du travail (OIT). A Quantum Leap for Gender Equality: For a Better Future of Work For All. Genève (Suisse) : OIT ; 2019. 146 p. Disponible en ligne : https://www.ilo.org/sites/default/files/wcmsp5/groups/public/@dgreports/@dcomm/@publ/documents/publication/wcms_674831.pdf (consulté le 14 février 2025).  

[5] Olsen JW, Lie T. Her vil nesten ingen menn studere. Oslo (Norvège) : Khrono ; 2024. Disponible en ligne : https://www.khrono.no/her-vil-nesten-ingen-menn-studere/683740 (consulté le 3 décembre 2024). 

[6] Njåstad M. Får ikke lov til å kvotere menn inn på veterinær. Oslo (Norvège) : Khrono ; 2024. Disponible en ligne : https://www.khrono.no/kvotering-opptak-guttekvotering/far-ikke-lov-til-a-kvotere-menn-inn-pa-veterinaer/141480 (consulté le 3 décembre 2024). 

[7] Upton B. Norway bids to attract men to female-dominated university courses. Times Higher Education; 2022. Disponible en ligne : https://www.timeshighereducation.com/news/norway-bids-attract-men-female-dominated-university-courses  (consulté le 14 février 2025). 

[8] American Association of Veterinary Medical Colleges (AAVMC). Annual Data Report: 2022-2023. Washington, D.C. (États-Unis d’Amérique) : AAVMC ; 2024. 68 p. Disponible en ligne : https://www.aavmc.org/wp-content/uploads/2023/09/2023-AAVMC-Annual-Data-Report-September23.pdf (consulté le 3 décembre 2024). 

[9] University of Helsinki. Helsingin yliopistoon hakeneet ja hyväksytyt kevään 2024 yhteishaussa. Helsinki (Finlande) : University of Helsinki ; 2024. Disponible en ligne : https://www.helsinki.fi/assets/drupal/2024-09/Yhteishaussa%20kandiohjelmiin%20hakeneet%2C%20hyv%C3%A4ksytyt%20ja%20opiskelupaikan%20vastaanottaneet%20hakukohteittain%20ja%20tiedekunnittain%206.9.2024.pdf (consulté le 3 décembre 2024). 

[10] Henning J, Held J, Keimer H. Tierärzte Atlas Deutschland 2024. Wörlitz (Allemagne) : Dessauer Zukunftskreis ; 2024. 90 p. Disponible en ligne : https://www.tieraerzteatlas.de/wp-content/uploads/2024/10/Tieraerzte_Atlas_online_2024_10_09-komplett.pdf (consulté le 3 décembre 2024). 

[11] ع. الغزال, “50 طالبة في الطب البيطري لأول مرة,” الوطن. Al-Watan; 2025. Available at: https://wtn.sa/a/368667 (accessed on 22 February 2025). 

[12] Greenfield C, Yunus Yawar M. Taliban-led Afghan administration suspends women from universities. Reuters; 2025. Available at: https://www.reuters.com/world/asia-pacific/taliban-led-afghan-administration-says-female-students-suspended-universities-2022-12-20/ (accessed on 22 February 2025). 

[13] De Balogh K, Staerk K. Sans titre. Paris (France) : Organisation mondiale de la santé animale ; 2025. Disponible en ligne : https://theanimalecho.woah.org/fr/genre/ (sous presse). 

[14] Prado T. Sans titre. Paris (France) : Organisation mondiale de la santé animale ; 2025. Disponible en ligne : https://theanimalecho.woah.org/fr/genre/ (sous presse). 

Poursuivre la lecture

03/07/2025

5 min read

L’importance d’une stratégie relative au genre pour l’OMSA

Marlène Buchy

Female livestock farmers- Female livestock with cattle

03/07/2025

5 min read

Au Kenya, les femmes sont des leaders dans l’élevage de bétail résistant au climat 

Daisy Okiring

protecting wildlife_avian influenza_a bird in the sky

02/17/2025

5 min read

Capturer la Beauté, Protéger la Santé : Comment la Photographie d’Oiseaux Peut Sensibiliser à la Grippe Aviaire 

Janelle Wilson

Découvrez d’autres thèmes

Biosécurité

Santé animale