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Durée de lecture : 8min

Repenser l’utilisation des antibiotiques : pourquoi le débat mondial passe à côté des réalités des pays à revenu faible et intermédiaire

antimicrobial use in animals_a scientist in a laboratory with a microscope

publié le

11/21/2025

écrit par

Arshnee Moodley

Arshnee Moodley est responsable de l’équipe RAM à l’Institut international de recherche sur l’élevage, Kenya, et professeure associée à l’Université de Copenhague, Danemark. Elle préside le Groupe de travail de l’OMSA sur la RAM. 

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Chaque année, alors que les experts mondiaux réexaminent les défis liés à la résistance aux antimicrobiens (RAM), les discussions tournent souvent autour de la quantité d’antibiotiques utilisés chez les animaux. Je me surprends à demander : que pourrions-nous apprendre si nous élargissions le cadre ? 

De mon point de vue, travaillant au sein de systèmes d’élevage familiaux et semi-intensifs en Afrique et en Asie, le récit s’appuie encore largement sur les réalités des pays à revenu élevé. L’accent est souvent mis sur la réduction de l’usage des antimicrobiens, mais il y a bien plus à explorer, notamment en matière d’accès, de qualité et de soutien pratique aux besoins des éleveurs lorsque peu d’alternatives viables existent. 

L’accès, et pas toujours l’excès


Selon le 9ᵉ Rapport annuel sur les agents antimicrobiens destinés à être utilisés chez les animaux (2025), l’usage mondial des antimicrobiens a diminué de 5 % entre 2020 et 2022, et seuls 7 % des produits appartiennent aux classes d’importance critique les plus élevées pour la médecine humaine. Ces progrès reflètent une gouvernance solide et un encadrement vétérinaire rigoureux — des conditions loin d’être universelles.
 

Dans de nombreux pays à revenu faible et intermédiaire, où la surveillance, l’accès aux vétérinaires et les diagnostics restent limités, les éleveurs sont confrontés à un choix impossible : le risque futur de RAM ou la menace immédiate de perdre leurs animaux. 

Nos recherches montrent que l’usage des antibiotiques est souvent motivé par la nécessité — ou la perception d’une nécessité — et non par négligence. La gestion responsable doit donc viser à créer les conditions d’un usage approprié plutôt qu’à pénaliser ceux qui disposent de peu d’options. 

De la ferme à la fourchette


Une grande partie du discours sur la RAM entre animaux et humains reste structurée autour d’un paradigme « de la ferme à la fourchette ». Dans les PRFI, les voies de transmission sont beaucoup plus complexes. La résistance circule par les sources d’eau partagées, les chaînes alimentaires informelles, la réutilisation des effluents et de l’eau, ainsi que par les interactions étroites entre humains et animaux. Des gènes de résistance identiques sont retrouvés chez les humains, les animaux et dans l’environnement, ce qui témoigne d’écosystèmes contaminés partagés plutôt que de transmissions alimentaires linéaires ou de sauts zoonotiques directs.
 

La Commission One Health du Lancet (2025) appelle à comprendre ces interconnexions à travers une perspective socio-écologique. Cet angle trouve un écho profond dans les PRFI, où la RAM n’est pas l’échec d’un seul secteur mais le reflet de la manière dont nous gérons les interfaces entre alimentation, environnement et moyens de subsistance. 

Mesurer les coûts : alimentation, climat et justice


La série EcoAMR (2024) de l’OMSA et de la Banque mondiale projette que la RAM dans l’élevage pourrait entraîner, d’ici 2050, des pertes de production équivalentes aux besoins alimentaires annuels de deux milliards de personnes. Les modèles économiques montrent que les pertes les plus importantes toucheront l’Afrique et l’Asie, où les aliments d’origine animale restent essentiels à la nutrition.
 

Pourtant, le Global AMR R&D Hub indique que depuis 2017, seulement 1,85 milliard USD ont été investis dans la recherche sur la RAM en santé animale, contre 15,7 milliards USD pour la santé humaine. Cet écart de plus de dix fois laisse les vaccins vétérinaires, les diagnostics et les alternatives chroniquement sous-financés. 

Parallèlement, des analyses comme celles de Feukam Nzudie et al. (2025) montrent des carences nutritionnelles généralisées en Afrique : chaque pays manque au moins d’un nutriment essentiel, et certains de l’ensemble des neuf nutriments mesurés, y compris les protéines. Combler ces déficits nécessiterait une augmentation de la production proche de 300 %, bien au-delà des limites durables en terres et en eau. 

Le bétail est essentiel à la nutrition, aux moyens de subsistance et à la résilience dans les PRFI, mais il est souvent présenté comme un problème, par exemple responsable d’environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre. La Commission EAT-Lancet sur des systèmes alimentaires sains, durables et équitables (2025) souligne que les systèmes alimentaires actuels reflètent les inégalités mondiales : les 30 % les plus riches du monde sont responsables de 70 % des pressions environnementales liées à l’alimentation, tandis que les PRFI subissent à la fois le stress climatique et les maladies sans filet de sécurité. 

La transformation des systèmes alimentaires est donc essentielle pour atteindre les objectifs climatiques, mais elle doit aussi être équitable. Aligner la gestion de la RAM sur l’adaptation au climat est la seule manière de rendre celle-ci juste, durable et capable d’éviter des pertes de productivité qui aggraveront inévitablement l’insécurité nutritionnelle. 

Réglementer sans accompagner


L’interdiction européenne des promoteurs de croissance antimicrobiens et la nouvelle réglementation limitant l’usage de certains antimicrobiens dans les importations d’animaux vivants et de produits animaux envoient un signal important en matière de responsabilité. Mais une question difficile demeure : comment les pays exportateurs à faible revenu vont-ils s’adapter ?
 

De nombreux pays africains manquent des infrastructures de surveillance et de laboratoire nécessaires pour démontrer leur conformité. Sans financement ni transferts technologiques, ces politiques risquent de créer des barrières commerciales. Les PRFI ont besoin non pas de davantage de réglementation imposée de loin, mais d’un soutien pour se conformer, grâce à des laboratoires régionaux, de la formation et des transferts technologiques afin que les normes mondiales fonctionnent pour tous. 

Le numéro actuel de la Revue scientifique et technique de l’OMSA, « Résistance aux antimicrobiens : science, normes et responsabilité » — publié 13 ans après le dernier numéro consacré à la RAM — consolide les avancées de la surveillance à la gouvernance et souligne que la science seule ne suffit pas : les normes doivent être accompagnées de systèmes. 

Combler l’écart


Alors que le monde met à jour le Plan d’action mondial sur la RAM et lance le Groupe indépendant de preuves pour l’action contre la RAM, nous avons l’occasion de recentrer l’équité et le contexte dans le récit mondial sur la résistance antimicrobienne.
 

Mais une vérité simple demeure : les réductions généralisées de l’usage des antibiotiques chez les animaux échoueront si les éleveurs ne disposent pas de sécurité, de soutien et des bons incitatifs. La science progresse, les normes sont claires, mais la gestion responsable doit être ancrée dans l’équité, adaptée aux réalités climatiques et attentive à celles et ceux qui élèvent les animaux qui nourrissent le monde.

Imaginons les possibilités si le débat mondial laissait davantage de place à ces réalités. Alors que nous marquons la Semaine mondiale de sensibilisation aux antimicrobiens sous le thème : « Agir maintenant : protéger notre présent, sécuriser notre avenir », veillons à ce que l’action contre la RAM soit non seulement scientifiquement solide, mais aussi socialement enracinée et écologiquement juste. 

The Animal Echo vise à promouvoir la compréhension individuelle et collective de la santé et du bien-être des animaux. Nous vous présentons des idées et des opinions d’experts en matière de santé et de bien-être des animaux dans le monde entier. Les opinions exprimées dans The Animal Echo sont celles de(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’OMSA.

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