Et si la plus grande valeur de l’intelligence artificielle (IA) ne résidait pas uniquement dans sa capacité à résoudre des problèmes, mais dans son aptitude à nous aider à poser des questions plus pertinentes ?
L’intelligence artificielle s’impose comme un outil puissant dans le domaine de l’aquaculture. De la détection précoce des maladies à une gestion plus intelligente de l’alimentation, elle transforme déjà les pratiques. Mais ce n’est pas une solution universelle. À ses promesses s’ajoute la nécessité d’une réflexion : les modèles conçus pour une espèce ou une région sont-ils transférables ailleurs ? Comment garantir que ces outils soient équitables et accessibles à tous ?
L’aquaculture — l’élevage de poissons et de mollusques — devient rapidement l’une des principales sources mondiales de protéines animales. Aujourd’hui, poissons et coquillages représentent plus de 16 % des protéines animales consommées dans le monde. Pour répondre à cette demande croissante, la production aquacole devrait atteindre 129 000 kilotonnes d’ici 2050.
Atteindre cet objectif tout en protégeant la santé des animaux aquatiques et en préservant l’efficacité des rares antimicrobiens encore disponibles dépendra de notre capacité à élever de manière intelligente et efficace.
C’est ici qu’intervient l’intelligence artificielle. Ces dernières années, l’IA a fait d’énormes progrès dans l’amélioration de la sécurité en aquaculture, passant d’une idée théorique à un domaine multidisciplinaire avancé.
Ici, nous explorons :
- Les domaines où l’IA fait déjà la différence
- Les innovations à venir
- Les questions clés que les vétérinaires et les responsables d’élevage doivent se poser, sans se laisser emporter par la mode de l’IA
- Une liste de vérification pratique pour l’équipe vétérinaire ou les gestionnaires de fermes
Problème |
Approche traditionnelle | Solution IA sur le terrain |
Détection précoce des maladies de la crevette (ex : EMS/AHPND) | Échantillonnage quotidien + PCR (délai de 2–3 jours) |
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Suivi de l’utilisation des antimicrobiens | Carnets papier souvent incomplets | Caméras Edge-AI + capteurs audio comptent les nourrissages et signalent les utilisations hors étiquette ; les données sont envoyées automatiquement aux tableaux de bord nationaux (Norvège, Chili). |
Comptage des poux de mer chez le saumon | Microscopie manuelle (coûteuse, stressante) | Modèles de deep learning utilisant des caméras stéréoscopiques sous-marines analysent 1 000 poissons en moins de 10 minutes, permettant des interventions non antibiotiques à des seuils plus bas. |
Risque de prolifération d’algues | Prévisions météo + images satellites de chlorophylle | Modèles hybrides d’IA envoient des alertes SMS 48 heures à l’avance pour que les éleveurs arrêtent l’alimentation et évitent des lésions branchiales. |
L’IA a ouvert de nombreuses perspectives prometteuses pour améliorer la productivité de l’aquaculture :
- Lacs de données “Une seule santé” combinant capteurs de qualité de l’eau, séquençage génomique (WGS) de pathogènes et profils de gènes de résistance aux antimicrobiens (RAM) pour prédire où et quand une souche résistante pourrait émerger.
- Algorithmes d’alimentation par apprentissage par renforcement réduisant le ratio de conversion alimentaire (FCR) de 5 à 10 %, ce qui diminue les coûts et la charge fécale en RAM.
- Microscopes portables avec IA intégrée capables de détecter les kystes du virus de la tâche blanche sur le terrain, réduisant ainsi les délais et les coûts de diagnostic sans laboratoire sophistiqué.
Avec ces opportunités viennent des précautions nécessaires. Les praticiens soulèvent des questions pertinentes :
- Qualité des données : Dans tout programme d’IA ou de ML, la qualité des données est primordiale. Un modèle entraîné sur des bassins de saumons en Norvège peut échouer dans des étangs de tilapias au Bangladesh. Concevoir des ensembles de données régionaux, testés pour les biais et sans compromettre la confidentialité, reste un défi.
- Responsabilité antimicrobienne : Si un système IA signale une augmentation de mortalité de 2 %, cela justifie-t-il un traitement antibiotique immédiat, ou faut-il attendre une confirmation en culture ? La définition de seuils de décision doit être codéveloppée par vétérinaires, éthiciens et régulateurs.
- Fracture numérique : L’IA basée sur le cloud exige un réseau stable, ce dont manquent de nombreuses petites exploitations. Des solutions locales ou par SMS peuvent réduire cette inégalité.
- Reconnaissance réglementaire : Le Code aquatique de l’OMSA ne prend pas encore en compte les preuves issues de l’IA. Il est urgent de valider les modèles afin qu’ils soient utilisables pour les certifications sanitaires officielles.
- Cybersécurité biologique : Un algorithme qui commande des trémies d’alimentation ou l’oxygénation peut être piraté. Qui est responsable si une cyberattaque entraîne une mortalité massive ou un traitement hors étiquette ?
Si vous êtes gestionnaire d’exploitation ou vétérinaire, voici comment débuter avec des outils d’IA :
- Commencez par un point mesurable unique (ex : mortalités inexpliquées 48 h après un changement d’eau).
- Recueillez 2 à 4 semaines de données étiquetées (mortalité, température de l’eau, DO, pH, images).
- Suivez une base de référence open source (ex : jeux de données Aquabyte, FAO AquaSpy) pour tester l’exactitude des modèles sur vos propres données avant achat.
- Restez en contact avec votre autorité sanitaire locale. Vérifiez si les résultats peuvent alimenter une base nationale de RAM.
- Préparez une stratégie de sortie : si le fournisseur IA cesse ses activités, assurez-vous d’avoir accès aux données brutes pour reconfigurer le programme localement.
L’IA n’est pas magique, mais elle est puissante. En aquaculture, elle transforme déjà la gestion de crises imprévisibles en une conduite d’élevage prévisible et de précision. Elle offre une opportunité précieuse pour une utilisation plus ciblée et minimale des antimicrobiens.
L’étape suivante est de garantir que ces outils soient sûrs, équitables et accessibles à toutes les exploitations : du bassin de crevettes de 2 hectares en zone rurale du Bangladesh à la cage de saumons de 10 000 tonnes dans l’Atlantique Nord.
Featured image: Canva AI
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