Résumé
L’intelligence artificielle (IA) transforme la santé animale dans le monde entier. Ces outils permettent la détection précoce des maladies, un traitement personnalisé et une meilleure gestion des animaux. En analysant des ensembles de données complexes, ils optimisent la pose des diagnostics, prévoient les foyers de maladies et améliorent les soins vétérinaires. Cet article propose une analyse des tendances concrètes de l’IA et des études de cas. À mesure que ces technologies s’amélioreront, leur incidence sur la santé animale ne cessera d’augmenter.
L’IA désigne la capacité des ordinateurs à imiter l’intelligence cognitive humaine, par exemple apprendre à partir des données, reconnaître des schémas existants et prendre des décisions. Parmi les disciplines de l’IA figurent l’apprentissage automatique (AA), le traitement automatique des langues naturelles (TALN), la vision par ordinateur, la robotique et les systèmes experts (SE). L’apprentissage automatique utilise des données pour obtenir des informations statistiques et reconnaître des schémas susceptibles d’être appliqués à de nouvelles tâches, alors que le TALN s’appuie sur des algorithmes pour comprendre et imiter les langues humaines. Quant à la vision par ordinateur, elle fait appel à des modèles pour interpréter les entrées visuelles ; enfin, la robotique a recours à des machines afin d’automatiser des tâches et les systèmes experts emploient des algorithmes pour imiter les capacités de raisonnement et de prise de décision des spécialistes humains.
Applications concrètes, études de cas et perspectives d’avenir
Les vétérinaires et autres professionnels de la santé animale collaborent avec des spécialistes de l’IA dans les domaines de l’apprentissage automatique, du TALN, de la vision par ordinateur, de la robotique, des systèmes experts et d’autres nouvelles disciplines afin d’améliorer la santé des animaux à travers le monde (Tableau 1). Il est possible de se servir de l’IA pour améliorer la détection des maladies, suivre la résistance aux agents antimicrobiens, accélérer la découverte de nouveaux médicaments et fournir un traitement personnalisé grâce à la médecine de précision. Elle peut également contribuer à la veille sanitaire en temps réel, y compris chez les animaux sauvages, ainsi qu’à améliorer la surveillance des pandémies au moyen de systèmes d’alerte précoce, entre autres applications.
L’IA permet notamment d’accroître les capacités de diagnostic en utilisant l’apprentissage automatique, la vision par ordinateur et les systèmes experts pour les scanners et l’imagerie médicale en général (radiographie, échographie, tomodensitométrie, imagerie par résonance magnétique et images de pathologie numérique, par exemple). Par ailleurs, les algorithmes d’apprentissage automatique et les systèmes experts peuvent être employés afin de mettre au point des algorithmes prédictifs pour la détection des maladies à partir des dossiers vétérinaires. De même, il est possible de recourir à l’apprentissage automatique et au TALN pour le suivi des cas inhabituels chez les animaux sauvages, tels qu’une maladie observée pour la première fois chez une nouvelle espèce hôte, dans un réseau de centres de réhabilitation de la faune sauvage afin d’assurer la rapidité de la détection des maladies et de la réponse [1].

Tableau 1. L’intelligence artificielle (IA) en santé animale : tendances, applications concrètes et études de cas
Étude de cas 1. L’utilisation du réseau neuronal convolutif pour interpréter des radiographies thoraciques de chiens en vue de détecter des maladies
L’IA est de plus en plus utilisée pour aider les vétérinaires à interpréter les radiographies dans le cadre du diagnostic des maladies. Un groupe de scientifiques de l’université de Padoue en Italie a développé un modèle de réseau neuronal convolutif profond avec plusieurs étiquettes* – un algorithme de reconnaissance des schémas par couches qui apprend à identifier des schémas dans les données par une approche couche-par-couche – afin de classifier les radiographies thoraciques des chiens [2]. Ce modèle assisté par ordinateur a été entraîné pour classer les radiographies thoraciques dans les différents résultats radiographiques : sans particularité, aspect interstitiel, masse, épanchement pleural, pneumothorax et mégaœsophage. Bien que deux réseaux neuronaux convolutifs différents aient été entraînés, celui reposant sur l’architecture ResNet-50, un modèle d’apprentissage profond avec des blocs résiduels, a obtenu une ASC (aire sous la courbe de performance, qui mesure la précision du diagnostic) supérieure à 0,8 (ce qui est considéré comme un bon résultat) pour tous les résultats radiographiques.
Étude de cas 2. L’utilisation de l’AA pour prévoir la qualité des effluents et le risque microbien dans les exploitations laitières
L’IA a été utilisée pour prévoir la qualité des effluents et les risques associés de pollution microbienne dans des exploitations laitières situées en Californie dans les États-Unis d’Amérique. Les exploitations laitières intensives comme celles-ci produisent des quantités importantes de déchets animaux, qui sont traités avant d’être réutilisés dans l’exploitation. Bien que ces déchets soient recyclés et réutilisés, il convient de réduire le plus possible le risque que des agents pathogènes soient recyclés dans l’exploitation au moyen de protocoles de traitement établis. Pour étudier ce risque, une étude pilote menée par un groupe de scientifiques de l’université de Californie à Davis, dont l’auteur du présent article, a comparé deux stratégies possibles de gestion des effluents laitiers, qui séparent et traitent les composants solides et liquides des déchets : (1) le séparateur mécanique solide-liquide, une machine qui filtre les solides des liquides ; (2) le système gravitationnel de séparation des solides avec paroi d’égouttage, qui sépare les liquides en utilisant la gravité.
L’équipe a élaboré un modèle heuristique d’IA appelé E-C-MAN (détectant la présence d’Escherichia coli dans les effluents d’élevage), qui a combiné les résultats de 26 modèles prédictifs de fondation en une seule sortie finale : un modèle de « super-apprentissage » (« super learner ») apprenant à partir de ses modèles indépendants fondateurs [3] en s’appuyant sur les données de 17 variables d’entrée chimiques, physiques, structurelles et saisonnières pour prévoir les niveaux d’Escherichia coli (E. coli) (Figure 1). Ce modèle d’AA a démontré que, dans les deux options stratégiques possibles, la phase solide séparée présentait des concentrations d’E. coli sensiblement plus faibles : cet organisme indicateur permet donc de prédire la qualité des effluents et le risque de contamination par les coliformes. Cela pourrait avoir des répercussions importantes en aval comme source d’effluents pour l’exploitation.

Figure 1. Le modèle linéaire généralisé d’ensemble d’empilement E-C-MAN a été élaboré par un groupe de scientifiques de l’université de Californie à Davis afin de prédire la qualité des effluents et le risque microbien dans les exploitations laitières utilisant des installations de traitement des effluents
Le modèle fait appel à diverses entrées chimiques, physiques, structurelles et saisonnières pour estimer les concentrations d’E. coli, qui ont servi d’organismes indicateurs pour les prédictions. Pour réaliser des prévisions précises, le modèle combine des modèles fondateurs simples (modèles de base d’apprentissage), par exemple des arbres décisionnels et des réseaux neuronaux. La sortie de ces modèles de base a été utilisée pour entraîner le modèle de super-apprentissage, ce qui a amélioré la précision globale des prévisions grâce à l’apprentissage à partir de chaque modèle individuel. Cette figure qui provient de Shetty et al. (2023) est sous licence internationale CC BY 4.0
Défis et considérations éthiques
L’emploi de l’IA dans le monde réel présente de multiples défis et considérations éthiques. Cela va de la confidentialité des données aux préoccupations liées à la qualité en passant par les problèmes de déséquilibre des données entraînant des biais de sortie, les difficultés de réalisation et d’accessibilité ou encore les coûts de mise en œuvre élevés et les complexités en matière de déploiement des systèmes d’IA dans des contextes où les ressources sont limitées. De plus, de nombreux modèles d’IA, en particulier ceux qui font appel à des systèmes d’apprentissage profond, manquent de transparence en ce qui concerne la prise de décision des modèles. Ces défis et considérations éthiques pourraient influencer le niveau confiance que les professionnels de la santé animale, les vétérinaires, les régulateurs et les éleveurs accordent aux systèmes d’IA, ce qui entraverait leur adoption dans des contextes concrets.
Un avenir prometteur
Le potentiel d’utilisation de l’IA en santé animale est immense, étant donné que nous ne sommes qu’au début de cette révolution technologique. Pour ce qui est des capacités, nous nous trouvons encore au stade de l’intelligence artificielle étroite, c’est-à-dire définie par des systèmes (ChatGPT ou Claude, par exemple) qui sont conçus pour exécuter extrêmement bien des tâches spécifiques ou une série de tâches limitées. Les possibilités seront pratiquement infinies une fois que nous serons en mesure de concevoir des systèmes d’intelligence artificielle générale de niveau supérieur ou des systèmes capables d’exécuter un large éventail de tâches dans le même modèle tout en égalant, voire en dépassant, les capacités humaines, puis des systèmes de superintelligence artificielle, c’est-à-dire à même de surpasser l’intelligence humaine à tous égards, que ce soit la pensée, le raisonnement, l’apprentissage, le jugement, et dotés de compétences cognitives supérieures. Il n’y aurait aucune limite, en termes humains, aux capacités du système. En matière de fonctionnalité, nous avons déjà dépassé le stade de la machine réactive, caractérisé par des systèmes d’IA n’ayant pas de mémoire et ne pouvant pas apprendre des expériences passées ; nous sommes actuellement au stade de l’IA à mémoire limitée, qui se distingue par des systèmes susceptibles d’apprendre à partir de données historiques afin d’améliorer les décisions à venir (ChatGPT et Claude, par exemple).
La prochaine étape pour demain consiste à développer une IA dotée d’une théorie de l’esprit, qui serait capable de comprendre les émotions, les croyances et les intentions, et enfin une IA autoconsciente, qui posséderait à la fois une conscience et une capacité d’autoperception. Alors que les applications concrètes actuelles de l’IA reposent sur l’intelligence artificielle étroite et l’IA à mémoire limitée, les perspectives d’avenir seront grandement élargies dès l’instant où nous aurons développé l’intelligence artificielle générale, la superintelligence artificielle, l’IA à théorie de l’esprit et l’IA autoconsciente.
Pour illustrer une trajectoire hypothétique à venir des applications de l’IA en santé animale, imaginons que la faisabilité technique de la superintelligence artificielle et de l’IA autoconsciente devienne un jour réalité. Dans un tel scénario prospectif, une plateforme d’IA créée par l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) pourrait, théoriquement, traiter en continu des données en temps réel provenant de milliards de capteurs dans les élevages, les hôpitaux et cliniques vétérinaires, les centres de soins pour animaux sauvages et les habitats de la faune sauvage dans le monde entier, ce qui permettrait d’anticiper les foyers de maladies comme l’influenza aviaire hautement pathogène des semaines à l’avance et d’aider les Membres de l’OMSA (pays et territoires) grâce à des réponses rapides et coordonnées. Cette plateforme pourrait contribuer de manière autonome à la coordination des campagnes de vaccination et à la négociation des protocoles d’échanges de données en adaptant sa prise de décision en fonction des commentaires éthiques des vétérinaires et des autres parties prenantes. Elle serait également consciente d’elle-même et comprendrait ses rôles, ses limites et les conséquences éthiques de ses choix dans le monde réel. Si de telles possibilités demeurent hypothétiques, elles démontrent à quel point il est important de participer à l’évolution des capacités de l’IA afin de forger une voie responsable pour aller de l’avant.
*Un réseau neuronal convolutif est un type d’algorithme d’IA conçu pour identifier des schémas dans les données par le biais d’une approche en couches. Les données sont traitées par l’algorithme à travers une série d’étapes (ou couches), chaque couche détectant des caractéristiques de plus en plus complexes, afin de comprendre des schémas détaillés.
Traduit de l’original en anglais.
Copyright de l’image principale : gorodenkoff
Références
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