Scientifique

Analyse

Intelligence Artificielle

Durée de lecture : 15min

Transformer les systèmes mondiaux d’information sur la santé animale : vers des notifications fiables et assistées par l’IA

publié le

09/05/2025

écrit par

Natalja Lambergeon

Natalja est cheffe de projet senior à lOrganisation mondiale de la santé animale (OMSA), où elle dirige depuis 2015 le développement du Système mondial dinformation zoosanitaire (WAHIS). Elle est titulaire dun Master en sciences et technologies de lUniversité de Linköping, en Suède, et possède plus de 20 ans dexpérience dans la transformation numérique au sein dorganisations internationales. Son expertise couvre les systèmes de notification en matière de santé publique, la coordination des parties prenantes et la gouvernance technologique. Diplômée du programme dintelligence artificielle dOxford (2025), elle contribue aux initiatives dinnovation numérique de lOMSA et apporte une approche inclusive du leadership dans des environnements complexes et multipartites. 

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Résumé 

Lintelligence artificielle (IA) est prometteuse pour améliorer lefficacité, la cohérence et la réactivité des systèmes dinformation zoosanitaire. Sappuyant sur des données zoosanitaires mondiales vérifiées couvrant plus de deux décennies, cet article explore les possibilités offertes par lIA pour soutenir le Système mondial dinformation zoosanitaire (WAHIS) de lOrganisation mondiale de la santé animale (OMSA). Bien que WAHIS joue déjà un rôle central dans la notification et la transparence en matière de maladies au niveau mondial, laugmentation du volume des données, la demande croissante dinformations actualisées et de haute qualité, ainsi que les attentes accrues des parties prenantes mettent à rude épreuve les processus de validation manuels. LIA pourrait alléger ces pressions en automatisant les contrôles de routine, en améliorant la détection des anomalies et en aidant lOMSA à respecter plus efficacement les normes en matière de notification. Cet article examine les principales exigences relatives à la mise en œuvre responsable de lIA dans le système WAHIS, telles que la qualité des données, lexplicabilité, latténuation des partis pris et lalignement sur le modèle de gouvernance multilatérale de lOMSA. Il propose également une voie pratique à suivre grâce à des projets pilotes visant à tester les outils de lIA dans des conditions réelles. Avec une surveillance appropriée et une participation active des parties prenantes, lIA peut renforcer, plutôt que remplacer, la coopération fondée sur la confiance qui est au cœur de WAHIS. Alors que les risques zoosanitaires mondiaux redoublent dintensité, le moment est venu de miser sur linnovation fondée sur la transparence, léquité et le partage des responsabilités entre les organisations internationales, les autorités nationales et les autres parties prenantes. 

Les arguments en faveur de l’IA dans le Système mondial d’information zoosanitaire : une vision d’avenir

L’intelligence artificielle (IA) transforme des secteurs allant des services de santé à l’agriculture, offrant la promesse d’une plus grande efficacité, de nouvelles méthodes de travail et de prises de décision plus intelligentes. En matière de santé animale, les pressions s’intensifient : plus de foyers épidémiques, plus de données, des enjeux plus importants. Les méthodes traditionnelles sont mises à rude épreuve. Bien que l’IA ne soit pas une panacée, l’urgence croissante rend son exploration indispensable.

Depuis sa création en 1924, lOrganisation mondiale de la santé animale (OMSA) a placé la transparence et la notification rapide des maladies au premier plan de sa mission. Aujourdhui, le Système mondial dinformation zoosanitaire (WAHIS) [1] permet aux 183 Membres de lOMSA [2] et à une vingtaine de non-Membres de notifier plus de 120 maladies listées qui affectent les animaux terrestres et aquatiques.

Après avoir travaillé pendant près de deux décennies avec le système WAHIS et dirigé son développement depuis 2015, j’ai vu la plateforme évoluer au gré des changements dans le paysage sanitaire, des attentes croissantes et de l’augmentation exponentielle des volumes de données. Bien que l’OMSA n’ait pas encore déployé l’IA dans WAHIS, elle étudie les conditions d’une utilisation responsable de cette technologie. 

Le système WAHIS contient des données officielles et vérifiées sur la santé animale dans le monde qui s’étalent sur plus de 20 ans, fournies par les autorités vétérinaires nationales. Cette continuité offre une vision structurée et longitudinale de la notification des maladies, ce qui en fait un atout précieux dont beaucoup d’initiatives en matière d’IA sont dépourvues. Alors que des ensembles de données fragmentés ou incomplets peuvent produire des prévisions biaisées ou des résultats peu fiables, WAHIS offre une base relativement stable pour développer des outils fondés sur l’exactitude, la transparence et les pratiques structurées de notification auxquelles se conforment les Services vétérinaires nationaux. L’IA pourrait compléter, plutôt que remplacer, les systèmes existants, en facilitant la détection des anomalies, en hiérarchisant les contrôles des données et, en fin de compte, en renforçant la fiabilité et l’efficacité des notifications au niveau mondial [3]. 

Certains processus clés de WAHIS, tels que les contrôles de cohérence lors de la vérification des rapports, restent en partie manuels. Cela implique d’examiner les nouvelles soumissions afin de s’assurer qu’elles correspondent aux tendances historiques et ne contiennent pas d’incohérences, telles que des changements soudains dans les espèces touchées, le nombre de cas ou la répartition géographique. Au cours de la période d’activité accrue de l’influenza aviaire en 2024-2025, le nombre de notifications de foyers épidémiques transmises par le biais de WAHIS a presque doublé. Les pics saisonniers de l’influenza aviaire hautement pathogène ont mis à rude épreuve la capacité de l’OMSA, révélant les limites de la vérification par des humains uniquement pour atteindre l’objectif de publication des rapports validés dans les 24 heures suivant leur soumission [4]. 

La force de l’IA réside dans sa capacité à traiter des tâches structurées et répétitives avec rapidité et précision [5]. Dans le cadre de WAHIS, l’IA pourrait aider à vérifier plus rapidement les rapports, à détecter les incohérences et à aider les pays à respecter les règles en matière de notification [6]. En tant que cheffe de projet pour WAHIS, je vois un fort potentiel dans la concrétisation de ces opportunités. Bien entendu, si WAHIS repose sur une base solide, toute amélioration basée sur l’IA doit s’appuyer sur une gouvernance saine, des données de haute qualité et une expertise appropriée pour garantir que l’innovation est à la fois efficace et responsable. 

Toute amélioration basée sur l’IA doit s’appuyer sur une gouvernance saine, des données de haute qualité et une expertise appropriée pour garantir que l’innovation est à la fois efficace et responsable.

Considérations préalables à la mise en œuvre de l’IA dans WAHIS

  1. Qualité des données : les fondements

WAHIS bénéficie de plus de deux décennies de données vérifiées provenant des autorités vétérinaires du monde entier, un atout rare dans les systèmes de santé publique et animale. Après tout, l’IA ne vaut que par la qualité des données sur lesquelles elle s’appuie. La précision, la rapidité et le détail contextuel, couvrant à la fois les données quantitatives et les mesures de contrôle, sont essentiels pour prendre des décisions éclairées. 

  1. Explicabilité et confiance

L’IA peut souvent fournir des résultats difficiles à interpréter. Dans un système tel que WAHIS, dont les données orientent les réponses en matière de santé publique et les décisions politiques, le manque de transparence est inacceptable. Tout processus assisté par l’IA doit être explicable : les utilisateurs doivent comprendre pourquoi un rapport a été signalé (qu’il s’agisse de données manquantes, d’incohérences ou de schémas inhabituels) et pas seulement le fait qu’il ait été signalé. La transparence est essentielle pour instaurer la confiance et garantir que la responsabilité incombe aux êtres humains, et non aux machines [7]. 

  1. Parti pris et équité

Le parti pris n’est pas un risque théorique. Si les modèles d’IA sont entraînés à partir d’ensembles de données qui sous-représentent certaines régions géographiques ou certaines espèces animales, ils risquent de passer à côté de tendances importantes ou de renforcer les angles morts existants. Dans le cadre d’une plateforme mondiale telle que WAHIS, cela pourrait avoir de graves conséquences. Les outils issus de l’IA doivent faire l’objet d’un audit continu afin de garantir leur équité dans toutes les régions géographiques et pour toutes les espèces animales, afin que l’innovation profite de manière égale à tous les Membres de l’OMSA, et pas seulement à ceux qui disposent de systèmes avancés de surveillance et de notification zoosanitaires [8]. 

  1. IA et multilatéralisme

WAHIS représente une initiative collective mondiale. Les pays font confiance à la plateforme pour refléter leurs données de manière juste, protéger leurs contributions et soutenir leurs systèmes nationaux. LIA devrait renforcer cette confiance et cette collaboration, et non les perturber [9]. Conçue de manière inclusive et transparente, lIA pourrait améliorer la cohérence, réduire la charge de travail manuelle et favoriser une implication plus équitable avec WAHIS [10]. Cependant, son succès repose sur une confiance durable, une communication claire et une gouvernance inclusive et responsable [11]. 

Expérimenter l’IA dans le système WAHIS : une prochaine étape concrète

Alors que l’OMSA continue d’explorer le potentiel de l’IA, la prochaine étape logique consiste à lancer des projets pilotes dans l’environnement WAHIS. Ces projets pilotes permettraient de tester de manière sûre et structurée la valeur ajoutée de l’IA dans le soutien des processus opérationnels essentiels. L’OMSA a déjà posé des bases importantes grâce à des initiatives plus larges de transformation numérique, notamment une infrastructure sécurisée et évolutive hébergée sur Microsoft Azure, qui dessert à la fois WAHIS et le Système d’information du Processus d’évaluation de la Performance des Services vétérinaires (PVS) [12]. 

Si ces projets pilotes sont approuvés, ils permettront d’évaluer la capacité de l’IA à améliorer les fonctions clés de WAHIS, telles que la vérification des notifications, la détection des anomalies et le soutien aux Membres et non-Membres de l’OMSA dans le respect des normes de notification [6]. Ils ne remplaceraient pas les processus existants, mais permettraient plutôt de tester la façon dont l’IA peut compléter l’expertise humaine de l’OMSA dans la vérification des rapports soumis, en effectuant des contrôles de routine et en mettant en évidence les premiers signaux [9]. 

  1. Objectifs de conception des projets pilotes

Les projets pilotes seraient conçus pour : 

  • Tester les performances de l’IA dans les conditions réelles de fonctionnement de WAHIS, notamment les différents formats de notification, les soumissions de données incomplètes ou tardives et la nécessité de vérifier la cohérence des informations historiques. 
  • Comparer les résultats de l’IA avec les processus manuels ou semi-manuels existants. 
  • Évaluer la résilience face aux écarts dans les données réelles (par exemple, évaluer si les outils basés sur l’IA peuvent encore produire des recommandations utiles ou sûres lorsque des informations sont manquantes, tardives ou incohérentes). 
  • Recueillir de manière continue les commentaires des utilisateurs de WAHIS (Délégués de l’OMSA et Points focaux nationaux), du personnel technique de l’OMSA et d’experts externes. 

La participation précoce du personnel technique et des autorités vétérinaires permettra de garantir que les outils basés sur l’IA répondent aux besoins réels et s’améliorent grâce à un perfectionnement itératif. Une approche impliquant l’intervention humaine est essentielle pour mettre en place des systèmes à la fois efficaces et fiables [13]. 

  1. Ce que les projets pilotes visent à clarifier

Avant d’envisager un déploiement à plus grande échelle, ces projets pilotes exploratoires aideraient l’OMSA à répondre à des questions clés : 

  • Les outils issus de l’IA peuvent-ils fonctionner de manière cohérente dans des conditions de notification dynamiques et imparfaites ? 
  • Quel niveau de précision est acceptable lorsque des décisions en matière de santé publique et animale sont en jeu ? 
  • Comment garantir la transparence et la traçabilité des recommandations automatisées ? 
  • Comment les Membres de l’OMSA réagiront-ils aux résultats de systèmes qui ne sont pas directement sous leur contrôle ? 

Ces projets pilotes évalueraient le rôle de lIA dans lamélioration de la validation des notifications, la détection des anomalies et le soutien aux Membres et non-membres de lOMSA, toujours en complément, et non en remplacement, des flux de travail actuels. Ils serviraient de passerelle entre le système actuel et un avenir où la surveillance serait responsable et assistée par lIA. 

AI is not a shortcut; it is a tool. Used wisely, it can help WOAH address emerging challenges through pilot-led, expert-informed development.

Saisir l’opportunité d’une IA responsable

Les défis zoosanitaires mondiaux sintensifient: plus de données, plus de foyers épidémiques, un degré durgence accru. Bien que WAHIS ait été lancé en 2005, il sappuie sur un siècle de coopération fructueuse entre lOMSA et les autorités nationales en matière de notification des maladies [14]. Grâce à sa solide base de données vérifiées, le système WAHIS occupe une position unique pour mener une nouvelle phase dinnovation. LIA nest pas un raccourci, cest un outil. Utilisée à bon escient, elle peut aider lOMSA à relever les nouveaux défis grâce à des projets pilotes élaborés par des experts. En tant que cheffe de projet pour WAHIS, je vois là une occasion rare pour lOMSA de façonner lavenir de la surveillance des maladies animales assistée par lIA. 

Traduit de l’original en anglais. 

Image principale: ©KTM_2016

DOI: https://doi.org/10.20506/woah.3638

Références 

[1] Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Système mondial d’information zoosanitaire (WAHIS). Paris (France) : OMSA ; 2025. Disponible en ligne : https://wahis.woah.org (consulté le 10 juin 2025).

[2] Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Membres. Paris (France) : OMSA ; 2025. Disponible en ligne : https://www.woah.org/fr/qui-nous-sommes/membres (consulté le 6 août 2025).

[3] The data backbone: building robust AI ecosystems for modern pet care [Internet]. The Digital PawPrint ; 2025. Disponible en ligne : https://pawprint.digital/p/data-backbone-building-ai-ecosystems (consulté le 10 juin 2025).

[4] Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Influenza aviaire. Paris (France) : OMSA ; 2025. Disponible en ligne : https://www.woah.org/fr/maladie/influenza-aviaire (consulté le 16 juillet 2025). 

[5] VetCT. Artificial intelligence in veterinary medicine. Cambridge (Royaume-Uni) : VetCT ; 2025. 63 p. Disponible en ligne : https://5345458.fs1.hubspotusercontent-na1.net/hubfs/5345458/AI%20White%20Paper_Final_Web_Foreword.pdf (consulté le 25 juin 2025).

[6] Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Codes et Manuels. Paris (France) : OMSA ; 2025. Disponible en ligne : https://www.woah.org/fr/ce-que-nous-faisons/normes/codes-et-manuels (consulté le 16 juillet 2025). 

[7] Commission européenne. Lignes directrices en matière d’éthique pour une IA digne de confiance. Bruxelles (Belgique) : Commission européenne ; 2019. 56 p. Disponible en ligne : https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/ethics-guidelines-trustworthy-ai (consulté le 24 juin 2025).

[8] Mehrabi N, Morstatter F, Saxena N, Lerman K, Galstyan A. A survey on bias and fairness in machine learning. ACM Comput. Surv. 2021;54(6):1-35. https://doi.org/10.1145/3457607https://doi.org/10.1145/3457607 

[9] Lin S-Y, BeltránAlcrudo D, Awada L, HamiltonWest C, Lavarello Schettini A, Cáceres P, et al. Analysing WAHIS animal health immediate notifications to understand global reporting trends and measure early warning capacities (2005–2021). Transbound. Emerg. Dis. 2023;2023(1):6666672. https://doi.org/10.1155/2023/6666672 

[10] Gowthami D, Aakash K, Arsath AM, Kumar VS. Smart animal health monitoring system using IoT. Int. Res. J. Educ. Technol. 2023;05(05):247-59. Disponible en ligne : https://www.irjweb.com/Smart%20Animal%20Health%20Monitoring.pdf (consulté le 10 juin 2025). 

https://www.irjweb.com/Smart Animal Health Monitoring.pdf[11] Hammond A. Équilibrer l’innovation dans le domaine de l’IA et la gouvernance responsable. Paris (France) : Organisation mondiale de la santé animale ; 2025. https://doi.org/10.20506/woah.3633 

[12] Lasley JN, Alessandrini B, Raza Mirza W, Abdelsattar H. Texte intelligent, systèmes plus performants : grands modèles linguistiques pour la Performance des Services vétérinaires. Paris (France) : Organisation mondiale de la santé animale ; 2025. https://doi.org/10.20506/woah.3641

[13] Sun JJ. Toward collaborative artificial intelligence development for animal well-being. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2025;263(4):528-35. https://doi.org/10.2460/javma.24.10.0650https://doi.org/10.2460/javma.24.10.0650 

[14] Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). L’OMSA fête ses 100 ans : un siècle en faveur de la santé et du bien-être animal [en anglais]. Paris (France) : OMSA ; 2025. Disponible en ligne : https://www.woah.org/en/woah-turns-100-a-century-of-improving-animal-health-and-welfare (consulté le 6 août 2025). 

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