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Analyse

Genre

Durée de lecture : 13min

Donner aux femmes les moyens d’assurer un leadership en santé publique vétérinaire

publié le

04/20/2025

écrit par

Rédacteur principal

Katinka de Balogh

Katinka a étudié la médecine vétérinaire en Allemagne, a obtenu son doctorat en parasitologie tropicale et s’est spécialisée dans la santé publique vétérinaire (SPV) aux Pays-Bas. Elle a passé plus de neuf ans en Afrique, où elle a été responsable vétérinaire de district et professeur d’université en Zambie et au Mozambique. Elle a travaillé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1988 à 1990 avant de rejoindre l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2002, où elle a mené des activités mondiales de SPV et a joué le rôle de Point focal « Une seule santé » ainsi que pour la rage au Bureau régional de la FAO pour l’Asie et le Pacifique à Bangkok. Katinka a quitté la FAO en 2022 et travaille actuellement comme consultante indépendante. Elle a participé à plusieurs groupes de travail de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) ainsi qu’à la mission d’évaluation de la Performance des Services vétérinaires (PVS) en Bolivie conduite par l’OMSA en 2025, dans le cadre du Processus PVS axé sur la rage. 

Katharina D.C. Stärk

Vétérinaire diplômée, Katharina est titulaire d’un doctorat en épidémiologie vétérinaire de l’université de Massey (Nouvelle-Zélande) et spécialiste certifiée en santé publique vétérinaire par le Bureau européen de la spécialisation vétérinaire (EBVS). Au cours de sa carrière, elle a travaillé dans des environnements variés, y compris dans le secteur privé et en milieu universitaire. En 2019, Katharina a rejoint l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (Suisse), où elle occupe actuellement le poste de responsable de la division Bases scientifiques. Dans son travail, elle s’attache à mettre la science en pratique dans le but de garantir une meilleure santé pour tous. 

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Des femmes partagent des idées clés sur le plan personnel et professionnel lors de retraites auto-organisées

Si les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans les études vétérinaires et dans la pratique professionnelle, leur progression de carrière est plus lente que celle des hommes et elles restent sous-représentées aux postes de direction, tant au sein du secteur public que privé ainsi que dans les milieux universitaires. De plus, les femmes vétérinaires, tout comme les femmes dans d’autres professions, rencontrent souvent des obstacles structurels et culturels entravant leur progression de carrière, notamment dans les fonctions de direction et dans les cadres non cliniques [1,2].  

Le mentorat et le réseautage sont des méthodes efficaces pour appuyer les professionnelles dans différents domaines en leur offrant développement personnel, progression de carrière et accès à des opportunités. Par ailleurs, ils permettent d’aider les femmes à renforcer leurs compétences et à gagner en assurance tout en leur donnant des conseils en matière d’évolution professionnelle.  

Une expérience européenne : le concept de la « retraite »

En Europe, un groupe d’une vingtaine de professionnelles en santé publique vétérinaire a lancé son propre réseau professionnel féminin, avec une première réunion en Suisse en 2013 ; il a évolué grâce aux retraites qui ont suivi dans la campagne suisse en 2019 et plus récemment à Rome (Italie) en 2024. Dans ce contexte, une retraite se définit comme un temps spécialement réservé pour sortir de son quotidien dans le but de se revigorer, se redynamiser et se transformer en partageant des points de vue personnels et professionnels dans un environnement de confiance avec d’autres femmes. Le réseau, actif depuis 11 ans, permet de tisser des liens à long terme, bénéfiques tant pour la croissance personnelle qu’en matière de soutien continu. 

Toutes les participantes sont des professionnelles vétérinaires situées en Europe, certaines étant engagées dans un contexte plus international dans divers cadres, dont le milieu universitaire, la recherche, le secteur privé, les instances gouvernementales, les organisations non gouvernementales et les institutions internationales. Elles se trouvent à différents stades de leur carrière (allant de postes junior à senior mais aussi départ récent à la retraite).  

Ces retraites ont été conçues par Katharina D.C. Stärk avec le concours de ses collègues installées en Suisse afin de répondre précisément aux problèmes complexes auxquels sont confrontées les femmes vétérinaires dans le secteur de la santé publique. Du temps a été consacré à réfléchir aux parcours professionnels individuels, aux difficultés et aux aspirations de chacune ainsi qu’à renforcer les compétences de résilience, de leadership et de planification stratégique de carrière. Les retraites ont en outre favorisé le réseautage et le mentorat entre consœurs parmi les participantes. Chaque retraite s’est étendue sur un week-end, mêlant réflexion individuelle et discussions en binôme ou en groupe, selon une approche semi-structurée reposant sur les besoins du groupe. Les participantes ont pratiqué des activités facilitées, allant de la mise en commun des réflexions en matière de carrière à des séances en petits groupes axées sur le leadership, la résilience et la planification stratégique de carrière. Cette approche diversifiée a encouragé les participantes à évaluer de manière critique leurs parcours professionnels, à explorer les obstacles systémiques rencontrés par les femmes (l’équilibre travail-vie privée ou encore le plafond de verre entravant les promotions, par exemple) ainsi qu’à élaborer des stratégies concrètes applicables en faveur de l’avancement professionnel.  

Pour les participantes, ces retraites deviennent un forum de groupe d’une importance capitale, où les femmes se rassemblent pour partager leurs expériences, confronter leurs problèmes et construire des réseaux qui favorisent à la fois la croissance personnelle et professionnelle. Entre les retraites, plusieurs participantes sont restées en contact entre elles, se réunissant de manière bilatérale, que ce soit en privé ou lors de rencontres et de conférences, et ont poursuivi leurs échanges au fil des années. 

Principaux enseignements tirés des retraites

L’un des points les plus profonds à retenir de ces échanges est la reconnaissance que les trajectoires professionnelles en médecine vétérinaire sont rarement linéaires. Nombre de participantes ont décrit leur parcours comme une « route sinueuse », empreinte à la fois de transitions stratégiques planifiées et d’opportunités inattendues. Ces considérations soulignent l’importance de la réflexion continue et des auto-évaluations, d’une planification de carrière proactive et de la volonté de saisir les opportunités de changement lorsqu’elles se présentent, même si cela nécessite de prendre des risques calculés, voire, dans certains cas, d’accepter des revers économiques et sociaux temporaires comme des investissements pour une croissance à long terme. 

Les retraites ont également mis en évidence le rôle essentiel de la résilience et du leadership pour les femmes professionnelles vétérinaires. Grâce à des discussions facilitées, les participantes ont passé en revue des sujets tels que l’équilibre entre ambitions professionnelles et responsabilités personnelles ou la progression dans des structures organisationnelles fixes susceptibles de limiter les négociations salariales et l’évolution de carrière. L’accent a été mis sur le concept de « leadership positif », une approche intégrant à la fois le cœur et l’esprit, thème central que l’on pourrait résumer ainsi : « diriger en gardant la tête froide, mais le cœur chaud ». En d’autres termes, le leadership féminin devrait s’efforcer d’assurer l’égalité des sexes en permettant à tout le monde de se faire entendre de la même manière.  

Autre sujet intéressant qui est ressorti des retraites : les femmes ont réalisé qu’elles n’étaient pas seules. De nombreuses participantes ont fait part des mêmes problèmes sur leur lieu de travail, renforçant ainsi la valeur des discussions concernant les expériences négatives et l’utilité du partage des stratégies pour y faire face. Cependant, une autre question importante mise en relief au cours de ces conversations a porté sur les difficultés tout à fait particulières auxquelles les femmes sont confrontées lorsqu’elles accèdent à des postes de direction. Par exemple, lorsqu’elles présentent une idée, celle-ci est souvent rejetée par leurs collègues, alors que la même idée proposée par un homme est prise en considération. Il s’agit d’un problème courant, qui sert d’exemple de biais persistant sur les lieux de travail. 

Il est important de noter que le pouvoir du réseautage est apparu comme une source essentielle de renforcement de l’autonomie des femmes, et la possibilité de dialoguer avec leurs homologues à divers stades de leurs carrières a été très appréciée. Une participante a cité avec justesse le proverbe africain : « Tout seul on va plus vite ; ensemble on va plus loin ». L’établissement de réseaux durables d’entraide au moyen de plateformes comme les groupes WhatsApp ou LinkedIn* n’a pas uniquement apporté un soutien émotionnel aux femmes professionnelles en santé animale, mais a également ouvert des possibilités en matière de mentorat et de résolution collaborative de problèmes, sans oublier le partage de ressources précieuses comme l’application Toutematête, la campagne de Nike « Dream Crazier », la théorie des dimensions culturelles de Geert Hofstede, la psychologie positive et La carte des différences culturelles d’Erin Meyer [3-7]. L’inclusion de participantes de générations différentes a également rendu possible un mentorat plus formel tout en permettant de se rendre compte que les types de défis professionnels sont souvent liés à une étape spécifique de la carrière ou de la situation familiale. 

L’un des points les plus profonds à retenir de ces échanges est la reconnaissance que les trajectoires professionnelles en médecine vétérinaire sont rarement linéaires. Nombre de participantes ont décrit leur parcours comme une « route sinueuse », empreinte à la fois de transitions stratégiques planifiées et d’opportunités inattendues.

Conséquences pour l’évolution de carrière et la croissance personnelle

Les expériences partagées lors des activités décrites ci-dessus reflètent les grandes questions relatives au genre dans le domaine professionnel de la médecine vétérinaire, et plus précisément de la santé publique vétérinaire. Les femmes doivent fréquemment se frayer un chemin entre les diverses exigences liées au développement professionnel et leurs engagements personnels et familiaux. Par ailleurs, étant donné qu’elles travaillent souvent dans des groupes où dominent les hommes, elles n’ont peut-être pas l’occasion de communiquer avec leurs consœurs. Si les réseaux professionnels destinés aux femmes sont de plus en plus répandus, elles peuvent manquer de temps pour s’engager dans de telles activités, dont l’orientation sectorielle peut aussi être trop éloignée de leurs fonctions particulières de spécialistes en santé publique vétérinaire.  

La création d’espaces consacrés à la réflexion et au dialogue peut donc contribuer à démanteler les obstacles traditionnels et à favoriser un environnement qui permette aux femmes professionnelles vétérinaires de parvenir à un équilibre travail-vie privée et de s’épanouir. Ces retraites servent aussi de catalyseur d’un changement systémique : au fil des années, plusieurs participantes ont évolué vers des fonctions de direction dans leurs organisations respectives, où elles sont en mesure d’exercer une influence afin de remettre en question les structures rigides susceptibles d’entraver la progression de carrière des femmes (et des hommes). 

Crédit photo : Katinka de Balogh

Donner les clés du succès aux femmes vétérinaires à travers des initiatives ciblées

Le réseau décrit ici a été auto-organisé sur une base non commerciale : chaque participante, grâce à son enthousiasme et à sa motivation, a payé son propre voyage, et les autres dépenses ont été partagées. Bien souvent, le lancement de ce type de réseau n’a besoin que d’une personne pour prendre l’initiative et de quelques autres qui ont envie de suivre.  

Cet exemple de réseau informel montre à quel point les initiatives ciblées de renforcement de l’autonomie peuvent transformer le paysage professionnel pour les femmes vétérinaires. En promouvant la pratique réflexive, un leadership résilient et un réseau solide, ces expériences permettent non seulement d’aborder les problèmes individuels, mais contribuent aussi à des débats plus vastes sur l’égalité des sexes en médecine vétérinaire dans un cadre non clinique. Pour aller de l’avant, il est possible de reproduire ce genre de réseaux en vue d’inspirer un changement systémique et d’encourager une culture fondée sur le renforcement de l’autonomie dans le secteur de la santé publique vétérinaire, et ailleurs dans la profession. Cela pourra en définitive améliorer la stratégie et les pratiques de demain dans les organisations, garantissant ainsi à la prochaine génération de femmes vétérinaires un meilleur soutien et une autonomie accrue pour diriger. 

*Le réseau Women for One Health, qui comprend plus de 100 membres, organise des réunions mensuelles et dispose de sa page LinkedIn (groupe) : https://www.linkedin.com/groups/12745144/

Crédit de la photo d’illustration : Katinka de Balogh

Traduit de l’original en anglais. 

Références 

[1] Tindell C, Weller R, Kinnison T. Women in veterinary leadership positions: their motivations and enablers. Vet. Rec. 2020;186(5). https://doi.org/10.1136/vr.105384  

[2] Stärk KDC, Sifford R, van Andel M. Who wants to be a chief veterinary officer (CVO)? – thoughts on promoting leadership diversity in the public veterinary sector. Front. Vet. Sci. 2022;9. https://doi.org/10.3389/fvets.2022.937718  

[3] Toutematête. Ottawa (Canada) : Le Royal; 2025. Disponible en ligne : http://healthymindsapp.ca/index-f.php (consulté le 13 mars 2025). 

[4] Why Nike’s ‘Dream Crazier’ ad is a starting shot for women to realize their dreams. San Francisco (États-Unis d’Amérique) : DrivenWomanNetwork ; 2019. Disponible en ligne : https://medium.com/@DrivenWomanNetw/why-nikes-dream-crazier-ad-is-a-starting-shot-for-women-to-realize-their-dreams-692eca16d53 (consulté le 13 mars 2025). 

[5] Wale H. Hofstede’s cultural dimensions theory. Vancouver (Canada) : Corporate Finance Institute ; 2025. Disponible en ligne : https://corporatefinanceinstitute.com/resources/management/hofstedes-cultural-dimensions-theory/ (consulté le 13 mars 2025). 

[6] Lucey C. Positive leadership in practice: A Model for Our Future. Toronto (Canada) ; Institute of Positive Psychology Coaching ; 2025. Disponible en ligne : https://theippc.com/positive-leadership-in-practice-a-model-for-our-future/ (consulté le 13 mars 2025). 

[7] Meyer E. La carte des différences culturelles. Paris (France) : Diateino ; 2022. 292 p. 

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